Beluslan. Terres gelées qu’elle connaît bien. L’aède se tenait dans le froid, perdue dans ses pensées, non loin d’un de ces halos bleutés, seul lien entre deux mondes qu’on dit antagonistes. En attendant Mankel, elle songeait à cet homme… Bollvig. Un daeva qui avait osé tenter de s’installer en Elysea. Et qui y était resté, tombé amoureux d’une paysanne élyséenne… Un fou ? Elle sourit de l’ironie en pensant au couple étrange qu'elle-même formait avec son gladiateur. Toujours est-il qu’il leur fallait le voir, il pourrait leur être utile dans leurs recherches au sujet de…
…-je bénéficier des bénédictions de l’aède ?Une voix la sort de ses réflexions. Une voix aimable et froide comme il convient aux personnes distinguées. Elle lève les yeux. Un homme à la beauté glacée, une armure de cuir rouge, des cheveux… roses ? Elle le salue poliment, et s’exécute en deux gracieux mouvements. Une aura de lumière scintillante fait resplendir l’inconnu, le temps d’un regard et d’un remerciement.
Il disparut. Et tout le reste ne fut qu’une longue souffrance…
Heiron, village de Jeiaparan. Le soleil d’Elysea leur paraissait d’une splendeur agressive, alors même qu’il était encore loin de son zénith. Mais les daevas au teint lumineux et aux chevelures d’or étaient déjà là. Fuite. Vaine. Des coups dans leur dos, à peine le temps de souffrir, ils s’effondrent, désormais cadavres dans un écrin de plumes d’ébène.
Chacun, enfermé dans sa conscience, perdait espoir. Une lugubre éternité s’écoula ainsi, et dans les murmures de la mort on aurait pu entendre une longue lamentation sur l’absurdité de cette guerre et l’aveuglement des soldats. Plus que leurs corps sans vie, la fatalité de leur sort les paralysait.
Dans le néant qui enveloppait son âme éteinte, pourtant, Synae sentit la caresse d’une brise. Un passage… Comme une présence… L’hallucination spectrale d’un espoir ? Un flux ténu de vie réapparait, il semble encore lointain, faible, mais s’enfle, se répand dans tous ses membres, envahit son âme. Réveil. Ses poumons s’emplissent d’air avec une folle avidité, elle vit. Et se rappelle alors que vivre, c’est souffrir. Les douleurs que la mort lui avait évitées la transpercent comme mille lames effilées, mais dans ce supplice, une seule pensée.
Mankel… On murmure à son oreille.
Il est en vie…Alors elle l’aperçoit. L’assassin au charme froid. Comme une apparition.
Quelques halos de lumière, l’aède se soigne tant bien que mal, rejoint son compagnon pour faire de même. L’assassin à peine sortit de l’ombre a déjà disparu, sûrement retourné à ses sombres desseins. Elle n’est même pas sûre de l’avoir remercié…
Mais non, sa voix, calme, assurée, feutrée, se fait entendre à nouveau, leur prodigue des conseils. La présence est toujours là.
Albel. L’assassin aux traits fins qui les prit sous son aile. Trois créatures d’Asmodée sur le sol d’Elysea, et les rares velléitaires cherchant à entraver leurs agissements s’en repentirent.
Quelque part sur Atréia. L'aède parcourt du bout des doigts les rainures de sa nouvelle arme, en songeant à celui sans qui rien n'aurait été possible. Il était passé dans leur vie, présence furtive, et n'avait laissé derrière lui avant de disparaître que deux daevas pleins d'une gratitude qu'il semblait ignorer, son nom, et quelques fleurs... Peut-être reverraient-ils, un jour, cette figure mystérieuse, dans les ombres d'ici ou la lumière d'ailleurs...