Un bruit répétitif, pénible, aliénant se répercute à ses oreilles. Un bruit qu'elle connait par cœur sans pour autant réussir à l'identifier. Elle reconnait la tonalité de l'eau, tout en étant certaine que ça n'en est pas, elle reconnaît les intervalles de silence entre chaque répétition, comme un cortège de gouttes pendillant d'un robinet et volant en éclat les unes après les autres sur un sol de marbre. Mais ça n'est pas ça non plus, elle l'écoute depuis trop longtemps pour avoir un doute quelconque à ce sujet. Ce bruit lui est inconnu bien qu'elle l'entende depuis... Elle ne sait même plus. Il y a aussi cette sorte de grésillement pétrifiant, des ongles crissant sur de la pierre dans l'espoir fou de l'entailler pour s'extirper d'ici. Mais ça non plus, ça n'est pas ce qu'elle pense. Il y a aussi toutes ces voix, ces cris venus de partout qui transpercent les murs, alourdissent l'air et viennent emplir sa tête de résonances infectes. Ca, elle sait ce que c'est. Le bruit des insectes volants, capturés en plein vol. Et que l'on écrase sans leur dire pourquoi.
Sa bouche s'entrouvre, elle s'humecte les lèvres. Sa bouche s'ouvre, elle pousse une sorte de gargouillement pitoyable. Elle n'arrive plus à parler. Plus rien. La moindre syllabe, la moindre plainte, le moindre air. Tout se perd dans des frémissements hydatiques qui la pétrifie. Son corps s'agite, elle émet quelques plaintes sourdes qui ne peuvent plus être appelés langage. Son corps se tourne, la face au sol, la pointe de son nez rappant sur le marbre, son torse se contracte, convulse, elle vomit.
Elle n'éprouve plus que des regrets. Elle a raté le Cercle. Elle l'a manqué à Métron. Elle aurait dû lui dire que même si elles ne s'entendaient pas bien elle lui était reconnaissante, mais depuis trop longtemps maintenant le silence s'était installé. Elles ne discuteront plus. Elle aimerait bien savoir pourquoi elle respire toujours alors qu'elle sait que tant d'autres nourrissent le jardin qu'elle a aperçut dehors. Peut-être que c'est grâce à elle, que c'est pour ça qu'elle ne l'entend plus. Ou peut-être pas. Peut-être est-elle juste allée conquérir la huitième. Une toux brusque et douloureuse force son corps à se recroqueviller. Depuis quand n'avait-elle plus été malade ? Elle ne sait plus. Si, elle sait parfaitement. Mais elle préfère ne pas répondre à cette question. Le décompte tomberait trop parfaitement sur l'évènement. Et elle refuse d'y penser. Elle refuse d'y croire. Elle ne veut pas.
Ses sens s'agitent. Un nouveau bruit s'élève. Une bruit connu. Identifié. Parfaitement évident. Elle se redresse, vite, affolée, frémissante, ses genoux, ses paumes la trainent de l'autre côté de la pièce, là, dans le coin. Son corps s'affaisse, se ratatine, sa tête ramenée entre ses bras. Les premières grilles, lourdes, pesantes, se sont ouvertes. Les secondes à leur tour. Elle entend le grincement des gonds, les portes les unes après les autres laissent les papillons à la merci des prédateurs. Mais ceux là n'ont rien à voir avec de jolies mésanges, de simples araignées ou des chauve-souris. Ils sont l'ombre qui court sur le monde. Peu importe leurs noms, leurs grades. Ils sont l'exécution de l'Ordre. Elle n'a jamais réellement accordé d'importance aux croyances quelles qu'elles soient. Le culte des Shedims, la vénération d'Aion. Mais depuis qu'elle sait ce qu'ils lui ont enlevé, elle se demande, vraiment, sincèrement, si les choses doivent aller dans ce sens. Si rien ne peut les arrêter dans leur folie d'Obéissance et de Conquête. Elle n'était qu'un grain de sable dans les rouages de l'Ordre.
Une dernière porte qui s'ouvre, un cri et les grilles se referment. Ca n'était pas pour elle. Elle se demande s'ils vont la garder comme ça. Que pourraient-ils lui faire de plus ? Fébrilement, ses doigts viennent tâter son bras gauche. L'intérieur du coude, là où la peau est si tendre, molle, fragile. Ca ne lui fait plus mal mais elle sent les boursouflures de la marque. Ils ont tatoué l'insecte sur sa peau, comme le signe de ce qu'elle n'est plus, l'avertissement de ce que personne n'aurait dû être. Son visage vient frénétiquement se frotter contre ses genoux, elle passe et repasse sur ses paupières closes. Est-il encore là ? Son œil la brûle depuis des jours. Elle se demande comment est sa pupille. Les poils de ses bras se hérissent. Elle sent. Elle perçoit parfaitement les effluves d'ether. Elle imagine avec une netteté terrible les courants de cette essence vitale aux daevas passer au travers d'un corps redevenu cruellement humain. Et elle ressent sans y être la douleur intolérable de celui ou celle que l'on consume pas à pas. Pour les Hommes, l'ether n'est qu'un brasier de plus dont il faut se protéger.