Les Ars Magna.

Ywain mesura du regard l'homme qu'on lui avait désigné comme le commandeur Ishmael. Il l'avait imaginé autrement, peut être plus grand; plus noble, certainement. Mais de toute évidence il ne s'était pas attendu à un gitan en armure de plate tirant quelques bouffées d'un des mégots dont il semblait disposer une réserve inépuisable derrière son oreille.

Le jeune homme ne jugeait jamais sur l'apparence. Lui même se savait un vivant exemple des impressions trompeuses. Aussi s'approcha t-il d'un air calme et impassible pour se poster devant son futur supérieur, les mains réunies dans le dos, et claqua des talons en un garde à vous respectueux. Intrigué, Ishmael leva les yeux et se trouva face à un visage imperturbable et juvénile regardant droit devant lui avec raideur, comme lors de toute conversation avec un supérieur hiérarchique.
"Oui petit ?
- Je m'appelle Ywain Highspear monsieur, et j'ai appris que vous souhaitiez créer un ordre de chevaliers."

Calmement l'homme regarda le jeune daeva, à peine un homme, plus tout à fait un adolescent, et tira une nouvelle bouffée qu'il renvoya vers le plafond pour n'incommoder personne.
" Les nouvelles vont vite. Qui t'a dit ça?
- Le général Spatalos monsieur. J'ai émit le désir de servir à Sanctum et il m'a renvoyé vers vous.
- Le général Spatalos est bien informé. Il a dû aussi vous dire que je n'ai rien...de formel..." Tout en parlant il observait la posture rigide du jeune militaire avec un sourire engageant.
- Il l'a dit monsieur. Il souriait." Imperturbable devant l'invitation tacite, le jeune homme resta droit et rigide, mains dans le dos. Tout au plus écarta-t-il un peu les pieds dans un semblant de détente. Ca s'approchait sans doute le plus de ce qu'il considérait comme un repos.

Une passe d'armes plus tard, l'ordre nouveau avait trouvé son premier chevalier.

Quelques temps plus tard, loin du tumulte du Sanctum ...

-"Nous avons entendu parler de deux elyséens, qui rependent la creation futur d'un Ordre de Paladin."
-"De quoi ?"
-"Des Paladins, sire Matmarann."
-"Qu'est ce donc un paladin ? Jamais entendu parler de cela ici bas ?"

Le Seigneur Krealen, chercha ses mots:
-"Et bien disons que le therme paladin même inconnu ici bas, semble faire penser à des Elyséens et Elyséenne défendant une cause, un idéal ... Peut-etre des gens de foi, tout comme nous ... Enfin ... bon bref."
-"Je vois et que voulez-vous que cela me fasse, mon vielle ami. Le Saint Ordre a-t-il quelque chose avoir la dedans ?"
-"Non pas vraiment, mais il semblerait qu'ils soient peu nombreux, mais avec un idéal intérissable ... Je me disais que peut etre s'il voulait sortir de la capitale ... Une rencontre pour nous faire une idée de leur véritable droiture pourrait être une bonne chose."
-"Pourquoi pas ... mais vous savez tout comme moi que cela risque d'aboutir sur rien ..." l'elyséen se leva pour gagner le reste des quartiers.

-"Dois-je les contacter ..."
-"Non, laissons voir s'ils nous contactent ..."
-"Bien seigneur"...

Sanctum, une belle journée sous le soleil brûlant d’Elysea.
Un homme quitte le Lyceum, sa démarche est calme et assurée, sa tenue celle d’un sorcier déjà expérimenté. Il n’a rien de bien remarquable en apparence, mais on murmure dans son dos parmi les fonctionnaires de Sanctum.

Il est venu saluer le Grand Prêtre et a été initié comme tout jeune daeva, son dossier comporte nombre de recommandations émanant de Poeta et Verteron. Une surface lisse et irréprochable, mais on raconte qu’il fréquente la dame Aurah, sur laquelle courent trop de rumeurs sombres pour qu’elle soit honnête. On dit aussi que le scribe qui s’est mis en tête de se renseigner sur les origines de cet homme et sur son passé a été fermement prié de se concentrer sur des sujets plus importants. Une remontrance venue directement du bureau du Conseiller personnel du Gouverneur.

Et voilà qu’il se joint au projet ambitieux et dérangeant de ce daeva étrange nouvellement sorti de l’ombre où il jouait à se faire passer pour un humain de basse naissance.
On n’aime pas l’excentricité à Sanctum. Du moins pas celle qui secoue les bases bien huilées d’une société gouvernée par le paraître.

Mordrahan n'en a cure. Depuis toujours il mène sa vie selon ses convictions, et il n'a aucunement l'intention de changer. Un léger sourire aux lèvres en songeant à sa fille retrouvée, il se dirige vers le pont de téléportation. Ce soir il reviendra dans la capitale, pour l'heure les environs d'Eltnen devraient lui fournir de quoi affûter ses talents de combat.

Le vent s'engouffrait dans les haubans avec un sifflement aigû. A l'horizon, le soleil disparaissait, entourant la scène d'un halo surnaturel. Quelque part, un journal s'envola emporté par la brise.

Face à face, Ishmael et Ebereth s'observait, les mains légèrement écartées du corps, les doigts nerveux. Autour, les compagnons d'Ars Magna s'astreignaient à un silence pesant et inquiet. Lorsqu'Ebereth fit un pas vers sa droite, Ishmael, miroir inversé, en fit un également. Avec un sourire mortel, elle s'immobilisa, les jambes écartées pour mieux assurer son équilibre sur le sol pavé.

"Cette ville est trop petite pour nous deux, Fiddler.
- Oui bon chérie, si tu veux bien te presser, il va bientôt faire nuit et on y verra plus rien."

En soufflant elle adopta soudain une position blasée.
" Rah Ish, pourquoi faut toujours que tu casses mes effets ? "
Le gitan tira une longue bouffée sur sa cigarette, éclairant un instant son visage sombre, puis la jeta d'une pichenette négligente. Son sourire s'étira en un rictus moqueur.
" Y'aura plus besoin d'effet quand je t'aurai fait ta fête, gamine. " Dans un bref instant de maturité il ajouta " Mais fait gaffe au grumeau, quand même. "

Profitant de ce moment d'inquiétude paternel, Ebereth bondit en une folle pirouette, et lança un pied menu en direction de l'aine. Il n'eut pas sitôt fait de l'arrêter que deux lourds poignards s'entrechoquaient, illuminant les visages d'une brève étincelle.
" T'es encore vachement rapide ma belle.
- T'as encore rien vu ! "

Profitant de sa petite taille, elle se laissa glisser plus bas et balança un coup de coude en vache dans le foie. Cette fois il se plia en deux, avec toujours aux lèvres, son éternel sourire de gitan. Mi-ricanant mi-toussant il réussi à souffler un "Greluche..." provocateur.
Le coup suivant visait le visage lorsqu'il attrappa le poignet fin et l'attira inexorablement à lui. Il ne chercha même pas à esquiver la gifle qui venait de l'autre main et se mit à rire.
" C'est tout ce que tu peux faire ? "
Esquissant un sourire charmant, elle approcha son visage et murmura tout contre ses lèvres : " Non "

Avec une grâce de danseuse, elle remonta un genou au creux de l'estomac, dans un mouvement si parfait qu'on l'eût cru ralenti à dessein. Avec une détente brusque, elle pris appui sur sa jambe et s'élança en arrière avant de se recevoir au sol comme un chat, observant par en-dessous Ishmael qui se pliait de nouveau.

Le combat devint flou. Les lames s'entrechoquèrent vivement, jetant de froids éclats métalliques dans les derniers rayons du soleil. Les deux époux semblaient d'égale puissance, opposant l'agilité à la vitesse, la grâce délicate à la force brute. Perdant leur charme rieur, les visages se fermèrent, tendus vers une victoire qu'aucun n'aurait admis de céder à l'autre. Trouvant une ouverture soudaine, un poignard fendit l'air et vint s'arrêter tout contre la gorge. Un mince filet de sang coula sur la peau fine et mate. Ebereth frémit, n'osant bouger. Ishmael aiguisait ses armes comme des rasoirs.
Avec un geste théâtral, elle tendit le bras et lâcha son poignard dans la main tendue de son époux. Sous les longs cheveux argentés qui dissimulaient son visage, on pouvait déceler le sourire du borgne. Devant ses yeux, il leva son propre opinel ensanglanté.
" Ca, c'était pour te rappeler de faire gaffe et d'arrêter de vouloir jouer. Il y a longtemps que je sais ce que tu vaux. On reprendra quand vous ne serez plus deux. "

Avec une tendresse infinie, il effleura le ventre rebondit de sa compagne, effaçant d'un geste la dureté de ses paroles, puis la souleva d'un bras alors qu'elle riait, ivre de bonheur.

" On va boire un coup ", fit-il en se retournant vers les chevaliers de l'ordre qui souriaient à distance. " C'est la patronne qui régale."

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Lovée au creux d'un arbre, Ebereth égrenait doucement les pétales d'une fleur qu'elle abandonnait à la brise, à gestes délicats et enfantins. A son oreille d'aède, les échos ténus du chant de l'ether chatoyaient tels les mille facettes d'un diamant, et sa voix retenue en louait les reflets, se gardant de couvrir la divine musique dont elle n'avait plus joui depuis plusieurs semaines. Lentement, son chant se fit plus suave, alors qu'un sourire s'étirait sur son visage, bridant ses yeux de tendre améthyste, atténuant un instant l'éclat de son regard.

Le débarcadère de Terminon ne dormait jamais, et c'était dans l'effervescence qu'Ishmael avait pris pied sur le sol, et délicatement déposé sa femme devant lui. Radieuse, elle avait couru en tous sens, s'arrêtant parfois pour offrir son visage à la caresse éthérée du vent des abysses. Ses pas enfin l'avaient menée vers la pointe où elle aimait avant à déployer ses ailes pour les offrir à la brise. Là, elle avait écarté les bras aussi loin que possible avec un rire espiègle, comme si de ses doigts effilés elle avait put effleurer l'impalpable. Derrière elle Ishmael avait déployé ses ailes sans un mot, réminiscence d'un passé où lors de leurs campagnes, il profitait de sa haute stature pour épargner à sa charmante les dommages du soleil et de la bise.

" Entends-tu l'ether d'ici ?
- Wi ! "

Soudain elle avait baissé les bras et contemplé les hauteurs de Reshanta, les yeux plein d'étoiles.

" J'aimerais un lys rouge des parois d'Astéria..."

Avec un sourire, le chevalier avait répondu :
" J'irai te le chercher. Mais toi, tu attendras ici."

Lentement elle s'était retournée, avec ce regard voluptueux qui de coutume réussissait mieux que des armes à faire plier le grand homme. Cette fois pourtant, il avait secoué la tête.
" C'est inutile de me faire ces yeux là. Tu sais que tu n'es pas en état. Tu ne peux même pas voler. "

Son sourire s'était élargi, et un instant elle avait contemplé à la lumière du Noyau, le visage marqué et sombre de son époux.
Et doucement, elle s'était laissée sombrer en arrière, vers le vide.

La chute dans les abysses est une molle et tiède descente. En l'absence de repère, il semble bientôt qu'on reste à la même place et qu'on est arrivé au fin fond du néant. Le vent sifflait à ses oreilles, et, caressant, l'ether chantait et murmurait. Les bras en croix, elle porta son regard vers le haut, là où la silhouette lointaine d'Ishmael se laissait tomber à sa suite en hurlant. Pourquoi criait-il ? Ne comprenait-il pas que c'était là, lovée au creux de l'éther, qu'elle était le plus en sécurité, qu'elle se sentait vraiment elle ? S'abandonnant à la chute, elle ferma tout à fait les yeux. Autour d'elle, l'essence de la vie s'enroulait et fredonnait, l'invitant à se laisser porter, à étendre ses ailes et à planer. Dans un gémissement, elle tenta de les déployer...et soudain elle compris. Même ici, dans les abysses, l'ether refusait de se plier. Le plongeon avait été doux, autant que la réception fut brutale. Ishmael avait plongé à la suite de sa femme, porté par un vent de panique. Les ailes repliées, tombant plus qu'il ne volait, il avait tenté en vain d'atténuer le choc de la vitesse lorsqu'il la reçut dans ses bras, alors qu'elle riait aux éclats, ivre de joie et de vitesse. Serrant contre lui son précieux fardeau, c'est avec une expression furieuse qu'il avait parcouru en sens inverse les quelques dizaines de mètres qui lui avaient été nécessaires pour enfin la rattrapper. Inconsciente encore des risques encourrus, elle continuait de rire lorsqu'il l'avait sermonnée, puis avait abandonné l'idée de faire entrer la moindre parcelle de maturité dans cet esprit lunatique et follet.

" Parfait...nous allons t'installer à la forteresse de Verteron. L'ether doit y être suffisant pour te maintenir stable. "
Tragique, elle s'était arrêtée de rire, portant sur toute sa personne les stigmates de la frustration trop profondément ancrée. Ne plus voler !
Avec un soupir, le daeva avait serré son épouse contre lui, ne comprenant que trop bien ce regard, cette sensation de vide, lorsqu'après les siècles passés à vivre sous le joug d'une pesante éternité, la perte même de votre servitude vous rappelait à quel point certains besoins étaient devenus aussi vitaux que celui de respirer.

Les ailes d'Ebereth avaient été rognées, la laissant dans un état d'humanité d'autant plus insupportable qu'elle savait ce qu'être daeva signifiait. Doucement il l'avait soulevée entre ses bras et s'était envolé en direction du portail de Verteron, tandis que fidèle à sa nature joyeuse, la belle jetait un cri de bonheur et de terreur mêlés.

Plus que quelques mois...

Lovée au creux d'un arbre, Ebereth égrenait doucement les pétales d'une fleur qu'elle abandonnait à la brise, à gestes délicats et enfantins. A son oreille d'aède, les échos ténus du chant de l'ether chatoyaient tels les mille facettes d'un diamant, et sa voix retenue en louait les reflets, se gardant de couvrir la divine musique dont elle n'avait plus joui depuis plusieurs semaines. Lentement, son chant se fit plus suave, alors qu'un sourire s'étirait sur son visage, bridant ses yeux de tendre améthyste, atténuant un instant l'éclat de son regard.

Mieux que la sensation du vent dans les plumes, mieux que le son mélodieux de l'ether qui s'effiloche en délicates notes de harpe, il y avait la main rude et le regard ardent.

"Et c'est presque à regrets que Sanctum accorde à votre Ordre l'officialisation qu'il désire et les droits en rapport."

Chacun dans la pièce se détendit visiblement. Au fond, Laynar avait déployé ses ailes, rutilant dans une armure neuve. Assis devant le bureau de Lavrintos, Ishmael se tenait de manière inhabituellement formelle. En bons lieutenants, Ywain et Zuri s'étaient tenus debouts de chaque côté de leur supérieur, légèrement en retrait. Un peu à l'écart, Fahra observait la scène tout en écoutant la suite. Ses rapports largement favorables avaient sans nul doute contribué à faire pencher la balance en leur faveur. Il était improbable cependant que le Commandant des Légions accordât un tel pouvoir sans contrepartie.

" Monsieur, puis-je vous demander quel sera désormais notre statut ?
- Vous avez requis un statut civil, eu égard à votre situation. Cependant, l'autorité de Sanctum est principalement militaire, et une autorité civile ne saurait être autorisée à s'en mêler. Vous serez donc désormais intégrés à l'armée régulière. Je vous ferai parvenir plus tard le détail de vos grades et de vos fonctions. C'est à moi et aux Templier de Miraju que vous rendez désormais vos comptes.
- Et pour ce qui est de notre autorité et de la façon de l'exercer ?
- Et jusqu'où iront nos droits, ajouta Ywain, qui desserra les lèvres pour la première et la dernière fois de l'entretient.
- Si à titre d'exemple nous devions remettre en cause les actes de...d'un deava comme Nennius Vigual, serions nous en droit de requérir les dossiers en rapport afin d'enquêter ?
- Un tel cas est à part. La Légion de l'Aile Blanche est solidement implantée et bénéficie d'une ancienneté ainsi que de solides faits pour lui permettre une certaine impunité face à ce genre d'attaque. Si vous deviez trouver des faits qui permettent l'ouverture d'une enquête, vous me les feriez parvenir afin que je l'autorise en personne. Cependant je vous conseille de monter un dossier très solide.
- Entendu monsieur.
- Si vous n'avez pas d'autres questions, messieurs, je ne vous retiens pas."

Ishmael se leva et salua avant de tourner les talons en direction de la sortie. Chacun de ses hommes salua également le Commandant des Armées, bien qu'il eût déjà replongé le nez sur son travail.

Au dehors la nuit était tombée, et la tour se détachait à l'horizon tel un fantôme croisant dans le ciel. Tous prirent une longue inspiration, ressentant avec délices la sensation de liberté inédite, celle de savoir qu'ils n'auraient plus à jouer les flics. Ishmael le premier rompit le silence.
" Au bureau. On ne se repose pas sur ses lauriers. "

[hrp : Petite mise au point. Cette "officialisation rp" et les pouvoirs qui viennent avec son attribués à Ars Magna dans le cadre d'un event interne. En aucun cas il ne sera fait cas d'un quelconque droit de regard sur les activités d'autres légions, sauf si ces Légions en manifestent elles même le désir (en nous lançant des hameçons rp flagrants par exemple). En pratique et pour tous ceux que l'event ne concerne pas, ça ne sera rien de plus qu'un titre décoratif du même ressort que ceux des nombreux PJ militaires haut gradés de Sanctum (sauf si vous décidez vous même de jouer avec ce fait, de la même manière qu'on joue sans problème avec les titres et les grades d'autres personnages déjà implantés). Si à un quelconque moment notre façon de le jouer vous pose le moindre souci, venez nous en parler, nous ne jouons pas ce rp pour embêter quiconque mais pour nous amuser avec la communauté qui souhaite s'y impliquer à nos côtés.]

[hrp : Ce texte prend place à la veille du dénouement d'Heiron décrit par la Plume dans la campagne d'un Dandy à Sanctum]

Votre lieutenant ? Quel lieutenant ?

Nennius resserra les doigts, et le corps recroquevillé d'Ywain implosa sur le ponton en myriades glacées, tandis que dans son autre main, un cristal prenait forme. Rage, soif de sang, la haine se lisait dans les yeux de tous tandis que l'arrogance de Vigual croissait, conscient d'avoir à sa merci un otage qu'Ishmael n'oserait pas perdre dans le jeu.

La soirée avait débuté de façon calme, et c'était à Verteron que les ébauches du plan avaient été jetées entre les renégats, et le peu d'hommes de confiance qui les avaient suivis. Il était simple : faire croire à Nennius qu'un représentant de la famille Delmeth se trouvait à Tolbas, sachant qu'il avait déjà éliminé la plus grande part et cherchait encore et toujours à faire sortir Khan de son repaire pour venger son sang. Alléché par la promesse de trouver peut être le traître lui même, Nennius était venu accompagné de Laynar, seule variable que tous avaient oublié de considérer.

Seul sur le ponton du village, Ywain les attendait, et avec toute l'honnêteté qui le caractérisait, était parvenu sans un mensonge à faire sortir Nennius de sa réserve, malgré ses jambes prises dans la glace dès le début de la conversation, et ses armes chauffées au rouge plantées de part et d'autre dans le ponton humide. Nennius était resté intrigué. L'homme n'était ni un Delmeth ni un renégat. Il avait d'abord cru retrouver Khan, mais ni la glace ni le feu ne l'aurait arrêté. L'évocation de la famille assassinée de Derek n'avait pas eu plus d'effet, ce renégat là aurait été suffisamment sanguinaire pour arracher ses jambes à l'étreinte. Il en savait trop, cependant, et connaissait de toute évidence certains des acteurs de l'histoire. Ainsi que son rôle dans la traque des fugitifs.

Lorsqu'il eut décidé de se débarrasser du jeune homme par prudence, ses compagnons embusqués étaient apparus, et Ishmael, maîtrisant sa fureur au mieux devant la torture de son lieutenant, avait engagé la conversation. Deux contre trois, peu sûr de l'allégeance de Laynar dans une éventuelle bataille, Nennius avait soudain décidé que le jeune homme représenterait un moyen sûr de briser l'esprit de son adversaire, et le tua d'un geste négligent.

La bataille fut rapide, Nennius maitrisait feu et glace avec l'assurance d'un expert de longue date, et tous furent rudement touchés. Ishmael même fut gravement brûlé par sa propre armure, et ce fut Derek qui au final, le prenant à revers, parvint à l'arrêter, résistant de peu à l'envie de le saigner pour lui arracher la façon de ramener Ywain à lui. Tandis que Zuri se précipitait à l'obélisque avec la précieuse pierre d'âme, les deux renégats arrachaient à Nennius ses aveux. D'une lâcheté surprenante, l'homme s'était effondré, alors que la crainte des deux compagnons s'instillait en lui, prenant le pas sur sa peur de son général. Zuri et Ywain revinrent bientôt, le jeune homme vêtu d'habits de fortune trouvés chez l'habitant. Son regard terni et son air éteint inquiétèrent ses amis, mais il fallait commencer par s'occuper de Nennius. Sur l'impulsion de Derek, le groupe de hâta en direction du portail balaur qui trônait au campement des kralls le plus proche. Là, Nennius perdit ce qui lui restait d'aplomb pour marchander sa vie. Oui, il écrirait ses aveux, il témoignerait même, mais qu'on l'épargne !
Derrière, Ywain se mit à insister pour que l'homme soit ramené et jugé. Quelque chose en lui avait changé, et à sa manière de fixer Derek, il ne faisait nul doute qu'il n'aurait pas hésité à l'éliminer pour accomplir son devoir. Conciliateur, Ishmael présenta un papier et une plume à Vigual, et obtint l'assentiment de Derek. Nennius serait ramené et jugé, et s'ils avaient dû user de moyens à la limité de la légalité, au moins les principes de justice égale seraient-ils respectés.

[HRP : Ce texte se déroule suite aux évènements du Chien Noir du Vendredi 5 Février]

Il faisait nuit, et les multiples carreaux de la fenêtre renvoyaient à Ebereth son image démultipliée et brisée, vivants reflets d'une personnalité à facettes, décomposée comme un rayon de lumière passant au travers d'un prisme. Pour l'heure, toutes offraient un visage morne. Il était rare que la jeune femme fût totalement en accord avec elle même, mais pour cette fois sa décision était unanime.

Sous les yeux de son mari, elle fit volte-face et s'empara de son bâton de marche avant de sortir. Elle aurait voulu claquer la porte, mais ne le fit pas. A travers le bois, la voix tendue d'Ishmael lui parvint : "Je vois, tu ne veux pas m'approcher, il y a une autre chambre à côté". Le claquement des talons dans l'escalier lui répondit, suivi de près par la porte du rez de chaussée qui se refermait avec un bruit sourd, comme sur un tombeau. En silence, elle remonta la rue des troubadours et se dirigea vers le portail de téléportation, son bâton sur l'épaule. Reprendre les routes, marcher de nouveau sous les étoiles, et conter les merveilles du monde à des visages rieurs, n'en avait elle pas cent fois rêvé ? La main qui la retint soudain arrêta ses pensée. Le géant la fit se retourner, la força à le regarder. "Où vas tu ?"

Elle ne sut que répondre. N'était ce pas évident ? Sûrement, lui aussi l'avait compris.

Sans lâcher les doigts menus, il se retourna et marcha pesamment en direction de la pension qui les logerait jusqu'à ce qu'on leur permette de quitter la ville. "Je ne veux pas un mot jusqu'à la chambre.
- Mais...
- Silence, j'ai dit. "
Le ton était calme. Sans répondre, elle leva les yeux sur la haute silhouette, où les cheveux dévoilaient parfois un profil perdu troublant de dureté. Il était rare qu'Ishmael adoptât ce ton avec son épouse. A la réflexion, c'était même la première fois. Se laissant traîner sur la route pavée sans plus oser parler, elle monta à sa suite l'escalier branlant qui menait à leur appartement. Là, il s'assit sur le lit, l'air grave, et joignit les mains sur ses genoux en observant le visage de la jeune femme. " Maintenant parle.
- Quoi...?"
Sa main se crispa sur le bâton. Son regard vola jusqu'à la porte. Derrière, le ton monocorde reprenait, effrayant de quiétude. " Et je te préviens, si tu fais mine de partir maintenant, je balance le lit contre la porte. "
Cette fois elle se raidit et retourna un regard de feu à son mari. Puis sans un mot, avec une fierté sans bornes, elle se retourna et fit un pas vers la sortie. Tout près d'elle, le lit s'écrasa mollement dans un fracas de bois et de ressorts. Dans un geste de panique, elle couina et se protégea la tête de ses bras. Comme rien ne venait, elle risqua un oeil vers lui. Calme, il se tenait cette fois appuyé contre un bureau. Le bandage de son torse saignait de nouveau, mais il n'en avait cure. Afin de parfaire l'avertissement muet, il broya d'une main le rebord du bureau qui éclata en échardes entre ses doigts. " Comme tu peux le voir, je suis sérieux là. "

Debout au milieu de la pièce en ruines, elle ne vit aucune alternative.

" Il faudra bien que tu relâches ta vigilance.
- Et donc, tu comptes partir comme ça ?
- Oui.
- Et donc, tu crois que je vais laisser partir la femme que j'aime sans moufter ?
- Non. C'est pour ça que j'attendrai que tu ne sois pas en état de moufter. "

Soudain, il poussa un soupir et se détendit. " C'est pas possible d'être aussi conne...Tu es tout pour moi, plus que tout le reste. Si tu pars je vais redevenir le connard que j'étais. C'est grâce à toi que j'arrive à avancer.
- Alors je mourrai. Ou tu vendras Sanctum.
- Tu comptes partir et ne pas revenir alors?
- Tu vois autre chose ?
- Oui, si tu t'inquiètes vraiment, te cacher, mais je ne vivrai pas sans toi. "

Tout d'un coup, elle s'approcha de quelques pas, hystérique. " Ils m'ont assommée en plein Sanctum Ish ! tout d'un coup ils étaient quatre autour de moi ! J'aurais pu faire de la compote avec leur cervelle mais je...
- Alors je quitterai le poste de commandant. Si je ne suis plus quelqu'un d'important, tu ne seras plus visée. "
Vaincue, elle croisa les bras et baissa le nez en arrondissant les épaules. "Non...
- Si tu pars je me foutrai bien du reste...je me foutrai de beaucoup de chose..."
Perdue sur le fil de sa pensée, elle murmura sans vraiment entendre "Et...et ils ont volé mes bonbons...". Prise d'un doute, elle se mit à retourner toutes ses poches une à une, jusqu'à la dernière. "Et le cristal aussi...
- J'en trouverai un autre. "
Sans écouter, elle se retourna pour aller machinalement actionner la poignée de la porte qui dépassait des décombres éclatés du lit. "Je ne te laisserai pas partir..." Alors qu'elle ne répondait rien, la main sur la poignée, cherchant à sortir à gestes décalés, il s'approcha pour la prendre dans ses bras. Elle pleurait. En silence il resserra sa prise et la câlina, penchant sur les épaules menues sa haute silhouette. Dans un hoquet elle parvint à murmurer "Toi aussi, elle a dit que c'était ma faute ?
- C'est la mienne chérie, ce n'est pas ta faute. C'est juste que...j'aurais pu mieux faire. Mais je chopperai les fils de putain qui t'ont fait ça.
- Mais elle dit que c'est ma faute...
- Ce n'est PAS ta faute.
- Mais...
- Si tu n'étais pas là je n'aurais jamais fait tout ce que j'ai fait maintenant. J'aurais fini comme...Jyll'...Voire pire...Même bien pire...
- Mais elle a dit...
- Je m'en fous de ce qu'elle a dit ! Je suis ton mari tu me fais confiance non ?
- Tes hommes vont perdre confiance si à cause de moi tu agis de façon aussi inconsidérée.
- Non ils ne vont pas perdre confiance...si tu m'avais écouté...elle aurait fait la même chose...ce qu'elle me reproche c'est...d'avoir perdu pied un moment. Si tu pars maintenant ça n'aura servi à rien. "

Essuyant son visage dégoulinant de partout à l'aide de sa manche brodée sans se soucier de la massacrer, elle murmura de nouveau "Et si elle me le redit, je dis quoi...?
- Tu lui parles, calmement...on s'est d'abord engueulés, tu sais..."
Dans un réflexe de stupide fierté gitane, elle répondit "Non."
La gifle partit. Pas fort, il ne cherchait pas à faire mal, mais le geste était sans équivoque. Elle lui en retourna une par réflexe, sauf qu'elle ne tenta pas de se retenir, et c'est tout juste s'il eu le temps de baisser la barrière qu'il levait désormais sur sa peau en permanence pour qu'elle ne se blessât pas. Déjà, elle cherchait à se dégager vainement, prise entre les bras largement capables de la retenir sans effort.
" Ecoutes moi, si tu dois partir, je pars avec toi. "

Se débattant, elle hurla "Laisses moi partir, salaud ! Arh'dabkr !". Dans sa fureur, elle roulait les r comme un torrent. Les insultes fusèrent dans sa langue natale. Rien qu'à leur consonance, il était impossible de se tromper sur le sens de ses paroles. Se moquant de se faire gifler de nouveau, il chercha son regard. "Avant tu me faisais confiance. Même quand tu étais...maitre...et que ça me déplaisait...je ne disais rien.
- Avant y'avait pas de tarés psychopathes prêts à m'utiliser pour faire pression sur toi !"
Blessé, il la laissa se dégager. Aussitôt elle alla s'adosser au mur opposé, une main sur le ventre, avec dans ses yeux, le meurtre. Il l'avait frappée ! Par pur réflexe, sa main chercha l'opinel dans ses poches. Sans doute avait il été jeté avec le reste lors de sa capture.
"Avant...tu me disais que j'étais capable de te protéger.
- Pas au prix de Sanctum Ish' ! Je suis devenue une arme contre toi !"

Sans la voir, il continua de la regarder, l'air vide. "Je vois..."
Elle s'attendait à une dispute. Elle s'attendait à une lutte, et sans doute, à une réconciliation sur l'oreiller, voire par terre vu l'état du lit. Mais en aucun cas elle ne s'était attendu à le voir aller dégager les décombres du lit devant la porte, s'écorcher les mains sur les éclats de bois, l'air indifférent. "Ishmael...?"
Lorsqu'il eut fini, il se retourna pour aller chercher son armure et s'en revêtir, négligeant sa blessure. Alors qu'il bouclait les sangles, elle s'accrocha à son bras. "C'est bon Ish', on va trouver autre chose !"
Sans répondre, il continua de s'activer, nullement gêné par le poids plume qui tentait d'entraver ses mouvements. Son visage exprimait rien. Pas une retenue d'expression, mais une absence glaciale d'émotions, une personnalité brisée en miettes, revenue à un état primaire, celui d'une arme pure et vide. Fiévreuse, elle fouilla dans ses poches se laissant traîner dans le sillage du guerrier, et fini par poser la main sur un mouchoir brodé qu'elle déplia avec soin.
Ishmael se déplaçait lentement. Un daeva a tout son temps. D'un bond, elle se plaça en travers de la porte et découvrit le cristal d'Ether Pur qu'elle conservait en cas d'urgence. "M'oblige pas à faire ça Ish'..."
Sans la voir, il se retourna vers la porte et commença à s'avancer. Lorsqu'elle porta le cristal à ses lèvres, l'air vibra soudain sous son souffle, ses épaules se détendirent, et ses yeux s'emplirent d'étoiles d'extase, tandis qu'elle semblait s'éclairer de l'intérieur, comme sous l'effet d'une aura divine.

Se maintenant au montant de la porte, elle s'efforça de rassembler toute sa volonté. Elle avait peu de temps avant de céder aux appels de la drogue, qui l'invitait d'une caresse éthérée à abandonner la lutte et à s'étendre voluptueusement dans les brumes bienfaisantes de l'overdose. Le sourire qu'elle esquissait semblait dédié aux anges, et son regard flou se fixa sur son époux. " Où vas tu chevalier...ne vois tu pas que tes pieds sont entravés...?"

Un éclair d'extase la força a reprendre son souffle en cours de phrase. La voix. C'était le pouvoir de l'aède, la maitrise du son dans sa forme la plus pure, celle de convaincre les vivants de leur santé ou de leur vigueur, et de faire croire aux morts qu'ils ne l'étaient pas. La question effleura son esprit, vite repoussée. Peut on raisonner un objet dépourvu de conscience ?
Ishmael se contenta de baisser les yeux et murmurer quelques mots sans âme, avant de continuer. Un instant, elle ferma les yeux pour lutter contre la félicité qui l'envahissait, puis les rouvrit sur un regard de mauve sombre. "Ishmael, stop." Les mots étaient simples, ils auraient dû l'arrêter, ne serait ce qu'un instant. Dans les couloirs effilochés de son cerveau, elle chercha ce qui ne fonctionnait pas, puis ses lèvres s'entrouvrirent de nouveau : "Théodoros, stop."
C'était fini. Le pouvoir, elle l'avait, mais plus la volonté nécessaire pour plier l'ether à ses paroles. Elle avait rompu l'équilibre précaire et ne maîtrisait plus le Verbe. Flageolante, elle s'agrippa au montant de la porte en s'efforçant de rester sur le passage. Sa vision se brouilla, envahie par les mirages sublimes que l'ether lui murmurait. Dans la main d'Ishmael, l'éclair bleuté brilla. Il allait l'écarter de son chemin d'un simple coup de grappin éthéré. Alors que son sourire exprimait toute l'extase du paradis, elle trouva encore la force de murmurer "Théodoros..."

La haute silhouette la fascinait vivement, et c'est d'un regard languissant qu'elle suivi le mouvement, la main qui se levait, puis l'instant d'hésitation. Sur ses lèvres consentantes venait se poser le chant de l'ether, à la lente gravité de guerrier. Devenue instrument, elle laissa le chant l'envahir et jouer d'elle, en un murmure mélodieux. Devant elle, l'oeil unique d'Ishmael brillait d'une lueur plus nette, indéfinissable. Son autre main se leva et rabattit la traîtresse, celle qui s'apprêtait à attaquer sa femme.
Puis il se mit à siffler en écho, immobile, d'abord timide. Sa main désormais inoffensive se releva vers l'orbite vide où ses doigts s'enfoncèrent, puis doucement, la pièce se remplit d'ether, à mesure qu'il le rejeta, rouvrant ses blessures anciennes, celles que sa nature de daeva refermait inlassablement sans jamais guérir totalement. A ses pieds, Ebereth acheva de s'écrouler au sol devant la masse d'ether ambiant, définitivement assommée. Pourtant sur ses lèvres, le chant ne mourut pas, il semblait qu'il fut vivant, tandis que l'ether autour s'exprimait à travers elle.
Sanglant, Ishmael laissa tomber un genou au sol en fredonnant, plus mort que vif, puis attira sa femme inerte vers lui, sans se soucier de sa lente agonie maintenant que l'ether ne le maintenait plus. Avec une infinie douceur, il déposa un baiser sur les lèvres entrouverte, sans pour autant la faire cesser de chanter, et la serra dans ses bras en la couvrant de sang, muet.

Longtemps, ils restèrent ainsi enlacés. Les mains d'Ebereth enfin remontèrent mollement du sol où elles étaient restées pendantes, tandis que le chant se modulait de façon subtile, soignait les blessures et refermait les plaies. A son oreille, il murmura dans un souffle de revenant :

"Reste..."

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Le sanglot du violon résonnait sous les cerisiers bleus du parc. La main qui tenait l'archet était vive et ferme, le son précis au comma près; en tout Ywain s'efforçait d'atteindre l'excellence. Il savait son geste parfait, et ses doigts, patiemment habitués aux notes, vibraient avec une précision mécanique.

Alors pourquoi ne parvenait-il pas à reproduire cette mélodie, cette vie qu'Ishmael insufflait au moindre vibrato; était-il possible que la perfection ne suffît pas ?

Le son mat le tira de sa réflexion, et l'archet se souleva des cordes tandis que sa main en étouffait les derniers échos. Sur le sol, le masque lui rendit un sourire de clown peint, et le temps se mis en suspens.
Il était déjà en train de se jeter en avant lorsqu'il senti la lame déchirer le dos de sa chemise. Le violon au creux des bras pour le protéger du choc, il se laissa rouler avant de se rétablir sur un genou avec souplesse.
Elle n'avait pas cherché à le suivre après l'avoir manqué. Elle ne semblait pas pressée d'en finir.
Avec respect, il déposa le violon dans l'herbe, l'archet en travers sur la table d'harmonie, et se releva, désarmé.

"Qui êtes vous ?, demanda-t-il d'un air neutre.
- Personne en particulier !" répondit la voix féminine derrière un second masque de clown. Dans un salut guerrier, elle inclina la tête vers son adversaire. Derrière l'assassin, il aperçu son sabre, qu'il avait déposé contre le dossier du banc, mais qu'il n'avait pu prendre, tant l'attaque avant été rapide. Entre protéger l'instrument et se défendre, il avait fallu faire un choix. Au coin de ses lèvres, un pli se creusa. Jamais il n'avait eu à hésiter entre sa survie et un simple objet.
Dans un recoin de son esprit, il rangea l'étrange sentiment pour examen ultérieur, et tira de sa manche la miséricorde des chevaliers, qu'il fit volter dans la paume de sa main pour la prendre à revers avant de se mettre en position de garde au couteau. L'arme n'était pas adaptée à son style, mais il faudrait s'en contenter. Tranquillement, sans le quitter des yeux, elle s'empara de l'épée et la balança en contrebas.

Puis elle s'élança à l'attaque.

La femme était petite, et agile. D'un geste large, elle tenta de faucher les jambes d'Ywain. Trop heureux de la voir le sous estimer ainsi, il se contenta de plonger par dessus et de bondir vers le parapet où il se laissa tomber pour récupérer son sabre, avant de porter un coup au jugé, là où il estima qu'elle tenterait de le suivre. La lame mordit dans la chair tendre et projeta sur le mur de marbre un filet de sang.
Chacun rompit aussitôt sur ses positions et les deux guerriers s'observèrent un instant, comme des chats.
Ils avaient le même style. La jeune femme allait jusqu'à utiliser elle aussi deux lames. Etait-elle rapide ? Sa petite taille l'avantagerait sans aucun doute.
Au jugé, il fendit l'air d'un coup de sabre. Sur son passage, le clivage fit exploser les pétales bleutés en autant de fleurs colorées et s'écrasa contre la pierre. Elle avait esquivé sans difficulté.
Dans un geste joyeux, elle imita le coup, mais lui fut trop lent, et il sentit son épaule se disloquer sous la douleur, tandis que sa manche s'imprégnait de sang.

En silence il refoula la sensation et pris une inspiration. La peine n'est qu'un signal, l'esprit doit l'interpréter pour savoir jusqu'où utiliser le corps sans risquer de l'endommager de façon irrémédiable. Un muscle touché. Aucun tendon sectionné. Aucune artère percée. Clavicule légèrement déboîtée.

En deux pas rapides, il fut sur elle, et reprit la danse. Dans un grand tournoiement de robe, il tenta de trancher la gorge offerte sous le masque qui se moquait. Elle para coup pour coup et rendit les mêmes, imitant de nouveau les attaques portées qu'il esquiva à son tour.
Tournoyant toujours, il pris de la vitesse. Cette fois elle tenta d'arrêter les lames, mais Ishmael avait déjà appris à ses dépends qu'il faut éviter de parer les coups du jeune homme. Profitant de l'appui, il laissa sa prise faiblir jusqu'au bout de sa lame, qui jailli soudain sous la garde.
Esquivant de peu, la petite femme pris du large et s'élança contre le mur où elle rebondit pour venir trancher la tête de son adversaire. Ywain se laissa tomber à genoux pour éviter les épées, et tailla vers le haut, dans les hanches dénudées qu'elle lui offrait avait tant de complaisance, avant de rouler en avant et de se retourner pour lui faire de nouveau face.

Avec un grognement, elle se jeta de nouveau en avant et se laissa vivement glisser pour passer entre ses jambes. Aussi vif qu'un serpent, le jeune homme se retourna à demi en évitant les lames qui venaient lui sectionner les genoux et planta d'un coup sec son sabre dans le masque.

Le temps se suspendit, interminable.

Puis la forme inerte se dissipa, ne laissa que le masque dérisoire au bout de la lame. Du bout des doigts, il le détacha et l'examina avec une attention minutieuse, sa manche dégoûtant le sang. A l'intérieur, une fine écriture le narguait encore.

Au premières lueurs de l'aube, les murs du Sanctum renvoyaient en légers échos métalliques les pas d'Ywain.

Nul ne savait où il dormait, ni même s'il dormait. Nul ne l'avait jamais vu se changer, ni se vêtir, ni même manger, et pourtant il paraissait chaque fois, tel un jeune seigneur fortuné pour qui place et or n'ont ni sens, ni manque.

Devant l'enclave du Sanctuaire de l'épée, deux gardes se tenaient aux aguets. Il n'avait rien de commun avec les hommes du guet de la cité. Plus féroces, et davantage conscients de leur devoir, rien ne leur échappait. A son approche, ils pointèrent d'abord de longues lances bien équilibrées avant de le reconnaître et de s'écarter, sans que le chevalier eût à ralentir d'un pouce.

Ywain ignorait ce qui avait poussé la ville à laisser reposer l'épée dans le Sanctuaire. Peut être n'avait-elle plus jamais trouvé d'emploi. Peut être n'avait-elle jamais accepté d'autre Porteur. Lorsque son regard vint en effleurer l'ouvrage parfait, et comme d'un autre temps, il se remémora l'époque douloureuse, celle où, aveugle et implacable, telle la justice ailé des prétoires, l'épée poursuivait Yshuan de sa vindicte.

C'est main nue qu'il en effleura la poignée avec la prudence du maître qui éveille un compagnon féroce. On ne pouvait lui prêter de pensée, ni de mots. Mais dans son âme, il la sentit se glisser à tâtons, éprouvant et questionnant. Avait-il des désirs ? Avait-il des pensées inavouables ? la voulait-il pour la gloire ?



"Non, répondit-il à voix haute. Nuls désirs, ni gloire, ni ombre. Nous sommes la miséricorde et la juste colère."
"Nous portons la lumière."

Alyendra arriva au bureau en baillant et prit les feuilles de papiers posées sur le bureau d'acueil. Elle fronça les sourcils en découvrant le dessin.

"... ow..."

...et s'empressa de prévenir les autres. simple dessin d'enfant plein d'une imaginations déplacée ou... était-ce plus grave?... le dessin faisait trop penser à certaines choses bien "réelles" pour ne pas au moins se tenir sur ses garde...

Je me réveille et je ne reconnais pas la pièce. Qu'est-ce que je fais là !? Pris d'une légère angoisse, je me redresse vivement tout en portant une main à mon visage démasqué. NON ! Où est-il ? Mon souffle se bloque quelques secondes alors que je bondis hors du lit tout en cherchant frénétiquement du regard le masque qui me permettrait d'être plus calme. Sans lui, le Général va reprendre le dessus ! Avec le combat contre Sakura, il se sent plus fort et plus téméraire que jamais. Un autre sceau s'était brisé, alors qu'il aidait les Ars contre ce monstre reptilien... Je m'arrête net. Je ne ressens rien. SA présence est à peine perceptible, comme s'IL se tassait au fond de sa cage. Troublé, je ne vais pas le chercher.

Où suis-je ? Cette chambre me semble vaguement familière. Lentement, je reboutonne ma chemise et je me recoiffe avant de pointer le nez en dehors de la pièce. C'est un couloir avec d'autres portes et en sa fin un escalier. Pieds nus, je marche sur la pointe des pieds pour me rapprocher des premières marches. Je me sens épuisé autant physiquement que mentalement. Que s'est-il passé la veille ? Les souvenirs sont confus, voir totalement oubliés après le combat contre Sakura. Je descends l'escalier, plié en deux pour que les cristaux n'étalent pas trop mon ombre sur le mur. Toujours discrètement, je ne veux pas me faire remarquer et là, je reconnais les voix.

Le bureau des Ars Magna. Comment me suis-je retrouvé ici ? Un maigre sourire étire mes lèvres alors que je m’assois sur les marches, au beau milieu de l'escalier. Je les écoute, captant ici et là quelques paroles concernant un étrange dessin. Mon sourit s'accentue avant que je ne fouille dans mon cube pour retrouver mon masque... sans l'y trouver. Je fronce les sourcils avant de remonter dans la chambre, la fouillant méticuleusement celle là. Mais rien. Encore plus perturbé, je reste dans ma chambre pour me prélasser sur le lit. J'aurais des explications assez rapidement, à mon avis.

Je ris un peu, alors que mes pensées repartent sur hier soir. Je les ai aidé trois fois... en utilisant les ombres pour ce faire. Laynar ne m'a même pas frappé. Mon rire redouble, devenant un fou-rire alors que je sens des larmes grises perler à mes yeux. Plié en deux sur le lit, je me calme petit à petit et je pousse un long soupir. J'ai réussi et en même temps j'ai échoué. J'ai pu les sauver en puisant dans la puissance du Général, faisant le bien à partir d'une magie noire... mais j'ai échoué dans la neutralité que je m'étais imposée. Le calme revient et je repense aux paroles d'Ywain : "L'amitié est une faiblesse."

Je ne veux pas y croire. Jusqu'à présent, l'amitié m'a permis d'avancer et de dominer le Général. J'ai pu trouver qui j'étais au travers de mes amis. J'ai pu évoluer jusqu'à atteindre la confiance nécessaire en moi pour LUI faire face. Et je crois que hier... hier c'est ce que j'ai fais. Des brides de souvenirs reviennent et je grimace un peu. Ah oui, quand même ! Inutile de continuer à chercher mon masque... Je pose les mains sur mon ventre puis je remonte vers le cœur ou plutôt l'absence de cœur. Je murmure :

- Où est-il ?

Avant de sombrer dans un sommeil réparateur.